le Journal de la Sologne
Nous nous sommes donc installés à Cour-Cheverny avec notre
fils
Paul, un de mes amis lillois, avait obtenu de sa mère qu’elle nous prête leur belle et grande maison de vacances, celle des fêtes de nos vacances à nous les jeunes.
C’était magique, un rêve d’habiter là, toute l’année. Mais
voilà, que faire ? J’avais bien trouvé un boulot dans une petite maison
d’édition locale qui éditait des fiches techniques pour les dentistes mais
c’était précaire et bizarre. J’y travaillais avec
C’était le tout début des années 70 et, à l’époque, on vivait sans l’angoisse ni le stress ambiants d’aujourd’hui, pour la vie professionnelle en tout cas. J’avais quand même envie de faire quelque chose, d’inventer quelque chose…
Un jour, il me vint une idée. En rentrant à la maison j’annonce à Sylvaine :
« On va faire une revue ! »
« Pour le 14 juillet ? »
« Non, un journal, sur la Sologne, un magazine avec des photos, sur la chasse, les maisons, la cuisine, les vieilles histoires… »
« Ah bon, mais on sait pas faire un journal ! »
« Mais si, tu verras… »
Entre-temps, on avait déménagé. Pour remercier la mère de
Paul, j’avais repeint les volets de
Bref, j’avais donc trouvé une autre maison. C’était une
ferme située à l’intérieur des bois du
château de Cheverny, juste au bord d’un étang de
Un jour, le gouvernement français projette la visite du château pour Leonid Brejnev, le président de l’Union Soviétique. Le marquis est informé, bien sûr, de la date et de l’heure de l’arrivée du cortège. Mais voilà, à l’arrivée des voitures officielles devant le perron du château, personne pour les accueillir. Le chef du protocole, affolé, monte les escaliers quatre à quatre, et se met à courir dans le château à la recherche de quelqu’un. Il finit par tomber sur le marquis :
« Qu’est-ce que vous foutez là ! »
« Excusez-moi, Monsieur, je cherche le marquis de Vibraye. »
« C’est moi ! »
« Le président d’URSS est arrivé, il est dehors, il attend dans la voiture avec les officiels… »
« Le président de quoi ? »
« Mais, d’URSS !»
« URSS ? Connais pas. »
Et il est remonté dans son appartement.
Président de l’Office National de la Chasse, il était invité à toutes sortes de dîners officiels, il avait même fait attendre le président Pompidou. Je crois qu’il aimait ça.
Ces histoires sont authentiques car elles m’ont été racontées par son plus proche neveu, alors régisseur du château, qui était devenu un de mes amis.
Le marquis m’aimait bien, et il paraît que j’étais la seule personne qui l’impressionnait, je me suis toujours demandé pourquoi. Toujours est-il qu’il m’a proposé cette ferme, isolée au bord de ce « lac » pour 100 francs par mois moyennant quelques restaurations.
J’y ai fait des travaux énormes, la plupart seul avec ma pelle et ma brouette. J’ai construit une grande cheminée et aménagé le bâtiment en immense pièce avec une mezzanine.
En même temps, je préparais mon journal. J’avais acquis quelques notions d’édition et d’impression dans la maison d’édition dentaire donc j’étais confiant et gonflé à bloc.
Comme je n’avais pas un sou, j’ai trouvé une astuce pour sortir le premier numéro : à l’aide d’une ronéo, sorte de machine qui imprimait les feuilles en tournant avec une manivelle, j’ai édité, avec une vieille machine à écrire, une feuille sur laquelle je présentais les futures rubriques du journal : « Le Journal de la Sologne et de ses environs ». 32 pages en noir et blanc sur papier glacé. Tirage 10 000 exemplaires imprimés par un petit imprimeur de Bracieux, diffusion gratuite, tous les 2 mois.
En bas de la page, j’avais inséré des tarifs publicitaires pour les futurs annonceurs.
Mon astuce était de prospecter des annonceurs et obtenir assez d’argent pour payer l’imprimeur. Mon argument était : si je n’ai pas assez de contrats, le journal ne sortira pas.
Je suis donc allé voir les commerçants, banques et autres annonceurs avec mon argumentaire et mes feuilles de papier marron. J’étais bien reçu, avec bienveillance, et la réponse était quasi unanime :
« Votre projet est très sympathique, jeune homme, mais voué à l’échec. »
« Ah, bon pourquoi ? »
« Il n’y a jamais eu de revue dans la région à part les quotidiens et les journaux d’annonces gratuites, et puis vous ne trouverez jamais assez d’annonceurs pour payer votre imprimeur… Bon, je ne prends donc pas de risque en vous prenant un encart. »
Ainsi, j’ai réussi à boucler mon budget. Je crois que c’est la première fois que l’on a vendu de l’espace publicitaire à des clients persuadés que le support n’existerait pas.
Je me suis donc lancé dans la fabrication.
On avait récupéré une table lumineuse et un jeu de Lettraset, planches de lettres qui se collaient en grattant sur une feuille. Le titre était créé, puis vinrent les titres des rubriques. J’avais un ami peintre, Ivan Mussau, qui m’avait dessiné à la plume, pour la couverture, une sorcière terrifiante assise au coin du feu, entourée de toiles d’araignées.
Un photographe animalier avait fourni de superbes photos en noir et blanc et un texte dans lequel il racontait ses traques d’animaux, dans la brume, au petit matin.
Le journal a été imprimé et, mon coffre chargé, je suis allé le déposer sur tous les comptoirs de Sologne.
Le succès fut énorme. Le facteur m’apportait, chaque jour,
un sac de lettres de félicitations, d’encouragements et de gens qui voulaient
participer au journal. Un vieux curé possédait des lettres de villageois qui
lui demandaient son aide pour exorciser leurs vaches ensorcelées par le
rebouteux du coin qu’ils avaient éconduit...Des conteurs me proposaient de
raconter leurs vieilles histoires, des journalistes des quotidiens
J’étais heureux. Les annonceurs, eux, furent surpris et tout à coup encourageants, comme par hasard.
Les numéros suivants furent en couleur, imprimés par une grosse imprimerie de Tours.
Pour le 1er anniversaire, le marquis de Vibraye m’offrit une soirée dans son château. Il invita personnellement tout le gratin régional. Les présidents de tout, Conseil régional, Général, Tourisme, des ministres, bref, il y avait une centaine de personnes triées sur le volet pour dîner et assister à une soirée royale, reconstitution d’une chasse à courre, feu d’artifice…
Le succès grandissait, mais trop vite et trop fort. Je n’y étais pas préparé du tout. Sans aucune gestion, la vie de bohème continuait, tout était mélangé, désordonné. Mais tant bien que mal j’arrivais à sortir mes numéros de plus en plus épais et de plus en plus coûteux. Cela a du durer 2 ans puis, essoufflé et dépassé je cédai le journal à une société d’Orléans.
La contre partie était qu’ils emploient Sylvaine, qui l’avait bien mérité, comme rédactrice en chef, salariée et munie d’une voiture de fonction. Voilà, ce fut mon cadeau de rupture car on avait décidé de se séparer.
Aujourd’hui, 35 ans plus tard, le Journal de la Sologne en
est à sa 135ème édition il tire à 19 000 exemplaires et est
devenu une institution, un superbe magazine régional de 80 pages, édité par
Il a même son propre blog.
J’en suis assez fier.