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Tant que je me souviens...
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25 novembre 2008

Les gorilles du Rwanda

Nous étions en 1978 ou 1979.
De retour à Paris, je m’installai dans un bureau de l’hôtel du ministère de la coopération, en tant qu’attaché de presse.
Au bout de quelques mois, le ministre m’annonça que nous partions en voyage officiel pour un sommet franco-africain à Kigali, au Rwanda.
Nous emmenions sa femme, ainsi qu’un député de Thionville et une poignée de journalistes.
On nous installa dans un grand hôtel confortable et nous attendîmes le président de la République Française.
Le sommet était prévu le surlendemain. Dotée d’un tempérament d’exploratrice, l’épouse du ministre tenait à aller voir les fameux gorilles du Parc National des Volcans – culminant à 4 500 m d’altitude – protégés par Diane Fossey, la célèbre chercheuse éthologue américaine. Elle demanda que l’on organise un transport jusqu’au pied du volcan. Le colonel de l’ambassade de France au Rwanda vint me trouver, affolé. « Mais enfin, monsieur, cette expédition n’est pas de la capacité d’une femme. L’altitude, les dangers… Je vous le déconseille fortement. »
J’allai répéter ses propos à Mme Galley, ce qui la mit très en colère : « Il ne sait pas à qui il a affaire. Je ne suis pas une femmelette, je suis quand même la fille du maréchal Leclerc. »
L’opération fut donc décidée.
Nous partîmes de Kigali, accompagnés du colonel, d’un commandant et d’un capitaine de l’armée française. Seul le député vint, les journalistes étant restés tranquillement à l’hôtel. Le soir, nous arrivâmes dans un campement au pied des volcans. Il y avait quelques maisons de coopérants, où nous fûmes hébergés pour la nuit.
À quatre heures du matin, grand départ.
Mme Galley savait où se trouvait Diane Fossey, et nous grimpâmes pendant environ quatre heures dans une forêt vierge hostile. Au fur et à mesure de l’ascension, les militaires, épuisés, faisaient demi-tour les uns après les autres, et je finis par me retrouver seul avec Mme Galley et le député.
Nous trouvâmes enfin le camp de Diane Fossey, qui avait été prévenue de notre arrivée via les systèmes de communication dont elle disposait. Elle nous accueillit chaleureusement avec ses assistantes et assistants, qui l’aidaient dans ses recherches. Elle nous offrit le thé et nous bavardâmes un moment. Puis, bien sûr, nous allâmes droit au but.
« Pouvez-vous nous aider à voir les gorilles ?
« Oui », répondit-elle « mais à certaines conditions, notamment, dans le cas où l’on se retrouverait nez à nez avec un gorille, il faut s’agenouiller et faire semblant de brouter en poussant des râles de soumission pour bien lui reconnaître sa supériorité de dominant. »
Il est arrivé qu’un jour, un intrus déclarant qu’il n’allait tout de même pas se se soumettre et s’accroupir devant un animal se retrouve plusieurs mètres plus loin avec une morsure à la fesse, en train de gratter la terre frénétiquement, à la mesure de sa frayeur.
Elle nous adjoignit deux guides, un Américain et un Africain, plus deux ou trois autres accompagnateurs. Et nous partîmes – il devait être neuf heures du matin – le pas alerte, impatients de voir ces bêtes rarissimes.

Aux environs de midi, la femme du ministre commença à s’impatienter et à exprimer son mécontentement : nous n’avions toujours aperçu aucun gorille. Le guide africain partit en courant et l’Américain nous expliqua que Diane Fossey l’avait chargé de nous égarer. Ayant pitié de nous, il décida de nous conduire malgré tout vers les fameux animaux. Tout d’un coup, j’entendis des roulements de tambour impressionnants. Ce son inattendu dans cet environnement sauvage était en réalité produit par les gorilles se frappant le torse. Une terreur nous envahit, mes compagnons et moi, car nous ne nous attendions pas à quelque chose d’aussi spectaculaire. Nous appliquâmes sans difficulté aucune les consignes de Diane Fossey et nous retrouvâmes tous les trois à quatre pattes en train de faire semblant de brouter. Deux ou trois gorilles s’approchèrent, nous fixèrent un très long moment du haut de leurs deux mètres, puis allèrent gambader ailleurs en nous ignorant.
Alors que nous étions accroupis, nous aperçûmes tout à coup une femelle accroupie comme nous qui nous dévisageait, son bébé dans les bras, tout près de nous. Elle ne bougeait pas, ne réagissait pas à notre présence. Nous sommes restés ainsi de longues minutes. Ne sachant que faire, nous avons fini par partir à reculons, discrètement, pour ne pas l’inquiéter.
Depuis quelque temps déjà, nous avions remarqué des avions qui nous recherchaient ; il faut dire que notre petite balade était censée durer quelques heures. Mais Mme Galley était déterminée à ne pas revenir sans avoir vu les gorilles.
Il était quatre heures de l’après-midi.
À Kigali, l’inquiétude devait monter. Nous redescendîmes au pas de course.
Nous rentrâmes à temps pour le sommet. Là, je fus attrapé par le ministre, qui me prit à part et me dit : « On est vraiment copains, Alain. Des avions vous recherchent depuis quatorze heures. La version officielle, c’est que vous vous êtes perdus, car je connais ma femme : elle s’est obstinée à les trouver, ces gorilles…
Une autre anecdote me revient :
Le ministre était un passionné de papillons.
Dans le hall de l’hôtel, ayant aperçu un papillon posé presque au plafond, il me dit : « Alain, trouvez-moi une échelle. » Ce que je fis. De son côté, il s’était procuré un bocal contenant du chloroforme. Il était cocasse de voir ce ministre français haut perché sur une échelle (très longue, je dois préciser) dans le hall de ce grand hôtel bourré d’hommes politiques, de journalistes et de représentants de l’ordre, attraper ce simple lépidoptère. Lorsqu’il fut redescendu, il me dit : « C’est pour ma collection. » Cela paraissait évident.

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