Djibouti5
Au bout de quelques mois, j’avais fini par m’habituer à cette vie et même m’y sentir à l’aise. J’avais de bonnes relations avec mon patron, le Président. Je lui donnais mon avis sur des questions politiques, lui parlais des journalistes qu’il allait recevoir, lui faisais son nœud de cravate quand il partait en voyage officiel…
J’étais allé le « chercher à l’avion », comme on disait, à son retour d’un sommet africain à Dakar.
Je le vis accompagné d’un immense gaillard qui le dépassait
de trois têtes. Il me présenta le Dr X, médecin sénégalais qu’il avait
nommé directeur de l’hôpital de Djibouti, au titre de
Le Président me demanda de m’occuper de lui, de l’installer et de le présenter à tout le monde.
Ce fut fait et nous sommes même devenus un peu amis. C’est
vrai qu’il était jovial et bon vivant, bref il respirait la santé ce qui me
changeait un peu des vieux administrateurs de la
Mon docteur s’approcha enfin avec une petite bassine remplie de courtes aiguilles plates dont les pointes étaient en forme de harpon. Il m’annonça qu’il allait me les enfoncer dans l’oreille, à des points extrêmement précis, qu’il fallait que je reste parfaitement immobile car le moindre mouvement pouvait avoir des conséquences graves sur mon cerveau. Je me raidis, retins ma respiration et luttai contre l’envie d’essuyer les gouttes de sueur qui commençaient à dégouliner abondamment. Je sentis les pics s’enfoncer et mon oreille se retrouva criblée de cinq petits harpons que le médecin recouvrit d’un scotch transparent. Soulagé de constater que mon cerveau semblait toujours fonctionner comme avant, je me levai et le remerciai.
« Attention ! », me dit-il avec beaucoup de gravité, « Si, avec ce que je viens de te faire, tu refumes une seule cigarette tu deviendras fou… ».
Fou ? J’avais du mal à le croire mais puisqu’il le disait… c’était quand même lui le médecin !
Mes amis, qui fumaient tous énormément, étaient très curieux de voir si la méthode s’avérerait
efficace ou non. Mon oreille était devenue le centre d’intérêt des Européens de
Djibouti. On ne me regardait plus dans les yeux, en me parlant, mais on
essayait de voir à l’intérieur du pavillon de mon oreille. Certaines têtes
s’inclinaient même progressivement pour mieux apercevoir l’incroyable
curiosité. Lorsque des gens étaient à côté de moi je sentais leurs regards
rivés là et constatais vite qu’ils s’arrangeaient pour être placés du bon côté,
celui de mon oreille gauche. Bref, j’avais maintenant deux raisons de tenir
bon : ne pas devenir fou et être à la hauteur de mon statut de cobaye
public. J’étais affamé. J’envoyais ma secrétaire, en pleine journée, m’acheter
du jambon, de
Mon médecin acupuncteur était maintenant bien installé
à la tête de l’hôpital de
« Je voulais te parler de quelque chose qui me
chiffonne. L’autre jour j’entre dans une pièce de l’hôpital et vois un type
assis sur une chaise, le pied entouré d’un bandage sanguinolent, la main tendue,
une longue aiguille plantée dans le doigt. Je lui demande qui l’avait mis là,
comme ça, et il m’apprend que c’était le docteur noir » (les Djiboutiens
qui étaient très loin d’être blancs qualifiaient de Noirs les Africains du
centre ou de l’ouest). Sans être médecin je trouvais ça, moi aussi, bien
étrange, même drôle… Dès lors, les autres médecins et infirmières dirent, eux
aussi, qu’ils trouvaient notre gaillard plutôt bizarre. Je fis effectuer des
recherches sur son passé. J’appris ainsi qu’il était recherché en
Cette étonnante expérience m’a quand même permis de ne plus fumer pendant quatre ans…