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Tant que je me souviens...
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14 décembre 2006

Les Solex

A la moindre occasion nous partions donc à Cour Cheverny pour des vacances ou des week-end que nous prolongions exagérément, à volonté.

J’avais 2 solex. Pourquoi ? Je ne m’en souviens pas mais j’en avais bien deux.

Un soir de total désœuvrement nous avons décidé de partir en solex pour notre destination préférée. Comme on était en février on s’est donc harnachés de pulls, cache-col, moufles et bonnets. En se regardant dans la glace on rigolait car on avait l’impression d’avoir pris 20 kg d’un coup.

Nous voilà partis en direction de la Porte d’Orléans. A Montparnasse, arrêtés à un feu rouge, l’un de nous voit un copain installé dans la vitrine de « Roger la Frite ». Contents nous allons le retrouver et commandons frites et vin rouge. Lorsque nous sommes repartis nous étions si bien « réchauffés » que je propose de rendre une petite visite à une copine qui habitait avec une autre fille. Il devait être minuit. Nous sonnâmes à la porte de l’appartement et attendîmes patiemment que cette belle porte vernie s’ouvre vers un long moment plein de promesses. Lorsqu’elle s’ouvrit, enfin, les deux jeunes filles, à moitié endormies, se mirent à pousser des hurlements et refermèrent brutalement la porte en nous voyant aussi monstrueux, énormes, méconnaissables. Je crois qu’elles ne m’ont pas reconnu. Nous n’avons pas insisté réalisant que nous n’avions pas, ce soir là, le bon profil pour séduire deux jolies jeunes filles romanesques sorties de leurs rêves de prince charmant ou d’Alain Delon. 

Déçus, mais quand même excités par notre projet de voyage, nous remontâmes sur nos Solex et repartîmes vers la Nationale 20.

Si le froid était à peu près supportable dans Paris, il commençait à pénétrer à travers nos vêtements et s’insinuer de partout, par nos manches et bas de pantalons surtout. Nous nous sommes donc arrêtés à une station service pour acheter des sacs en plastique. Le but était d’y enfermer nos jambes sauf qu’il était impossible d’emprisonner ses deux jambes et de pédaler pour redémarrer le Solex. Jambes enfermées dans les sacs nous partions en sautillant pour lancer le moteur et sautions sur la selle. C’était tellement grotesque et jamais vu de mémoire de Solex qu’on a déclenché l’hilarité des gens qui nous ont vu et qui ont vraiment dû nous prendre pour des fous, d’ailleurs avaient-ils totalement tort ?

Nous voilà donc repartis sur cette Nationale 20 à 30 kms à l’heure, frôlés par des camions gigantesques dont l’air nous faisait faire des embardées et doublés par des bolides qui roulaient à des vitesses vertigineuses (pas de limitations à l’époque). Nous étions donc bringuebalés, terrorisés par cet enfer de monstres menaçants et assourdissants.

Arrivés près d’Orly, roulant côte à côte, je crie à Alain :

« Regarde l’avion au-dessus ! »

Il leva lui aussi la tête et nos deux freins s’accrochèrent. Sensation horrible de sentir que son guidon est tiré par un autre et ne va plus dans la bonne direction, alors on force mais l’autre aussi. Tout ça s’est terminé par un gigantesque vol plané, emprisonnés dans nos sacs, nous relevant difficilement et sautillant pour rejoindre et redresser nos Solex éparpillés sur la route au milieu d’un concert de coups de freins et de klaxons des voitures et camions qui voulaient nous éviter. Si ma grand-mère Léontine avait vu ça elle aurait encore crié au miracle. Je crois que là elle aurait eu raison.

Pas de bobos. Et nous voilà repartis prudemment cette fois l’un derrière l’autre.

Le froid devenait atroce, et l’on avait encore environ 170 kms à faire à 20 de moyenne ! Même si nous n’étions pas très doués en maths on réalisait bien qu’il nous restait 8 à 10 h de cauchemar à vivre. Ce qui était incroyable c’est que nous ne songions même pas à faire demi tour ou de nous arrêter dans un endroit abrité pour attendre, le matin, la fin de cette nuit glaciale. On roulait prostrés, figés en attendant de sortir de cette infernale nationale 20. La suite était plus humaine, une départementale à deux voies qui traversait la Beauce. Peu de circulation car c’était encore la nuit, vers le petit matin, et la totalité des « ennemis » étaient restés sur la 20. Sauf qu’il faisait encore plus froid. Complètement à découvert entourés de champs immenses, sans aucun arbre ni maison pour nous abriter du vent. Je repensais à ces alpinistes qui étaient restés trois jours bloqués dans leur tente par une tempête de neige. Ils avaient été finalement récupérés sain et sauf mais frigorifiés. Leur aventure avait fait la Une de Paris-Match. Et nous alors, ce que nous vivions était bien plus terrible ! Nous n’avions pas d’abris, nous, pas de sacs de couchages mais très vite j’imaginais assez mal Paris-Match faire sa Une avec deux malades retrouvés gelés, sur une petite route de Beauce, les mains crispées sur les poignées de leurs Vélosolex, à moitié enfermés dans des sacs plastique…

La route était vraiment déserte, nous roulions et roulions la tête et le corps immobiles, évitant chaque mouvement, même celui de tourner la tête. Lorsque le jour s’est levé, on a eu l’impression que l’on entrait dans un four, la température était seulement un peu moins froide, mais toujours glaciale. Alain a eu une bonne idée. Il avait entendu dire que les sans abris s’entouraient le corps de journaux. Nous nous sommes donc arrêtés dans une petite épicerie d’un minuscule village. En nous voyant entrer l’épicière marchande de journaux eut vraiment peur, elle a dû croire à un hold-up :

« Bonjour Madame, n’ayez pas peur, auriez-vous des vieux journaux ? »

« Non jeune homme tous mes journaux sont du jour !» a-t’elle répondu, offusquée.

Alors nous avons acheté plein de journaux du jour.

Nous avons commencé à nous déshabiller, la femme était effarée, elle devait penser à appeler la gendarmerie ou une ambulance mais, par prudence, elle ne voulait pas nous quitter des yeux.

« Madame, auriez-vous de la ficelle ? »

Elle nous sortit une pelote de grosse ficelle à sac à patates, en nous annonçant le prix, prête à obéir à toutes nos exigences de peur de contrarier les deux fous.

Alors, on s’est mis à entourer l’autre et à le ficeler. On s’est rhabillés, on est sortis et on a remis nos sacs plastiques. La brave dame qui nous observait derrière sa porte vitrée a soudain compris. Je la revois encore avec son expression qui était devenue bienveillante même un peu admirative. Je crois quand même qu’elle n’a jamais compris ce qui avait bien pu pousser deux jeunes gens à vivre une chose pareille.

Nous avons bien fini par arriver. Je revois le panneau Cour-Cheverny, je l’aurais embrassé mais j’en avais un peu assez de passer pour un fou. Un ami de Lille nous avait dit où était cachée la clef de la maison de campagne de ses parents, au bout du village. Grande et belle maison bourgeoise du 19ème. Peut-on imaginer le bonheur de savoir que dans quelques minutes nous pourrions entrer dans une maison, même froide, faire un feu dans la cheminée, trouver des conserves, peut-être du vin… Je n’ai jamais été aussi impatient d’ouvrir une porte. La clef était celle de la porte de la cuisine. Quelle belle porte ! Toute simple, toute grise mais celle qui allait enfin nous faire entrer dans le chaud, s’asseoir enfin dans des fauteuils même sur des chaises ! J’entre donc fébrilement la clef dans la serrure sous le regard trépignant de mon copain qui devait penser aux mêmes choses. Je tourne la clef, une vieille clef de serrure toute simple, et là…elle se casse.

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Commentaires
A
C'était plutôt la bise qui nous fendait. Ce n'était pas de l'héroïsme, mais la recherche d'une sorte d'extrême. Genre inconnu à cette époque.
J
... parce que deux fous dessus, tiens !<br /> Continue à nous raconter tes aventures, c'est trop drôle de vous imaginer tous les deux fendant la bise et la nationale 20 transis de froid. Quel héroïsme! Surtout quand il n'y aucune gloire à la clef ;)
Tant que je me souviens...
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