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Tant que je me souviens...
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22 mai 2007

Djibouti

Il était 4 heures du matin. J’ai parlé de soleil mais maintenant je me souviens qu’il faisait nuit. L’aéroport de Djibouti était grouillant de monde. Il faut dire qu’il n’y avait qu’un avion par semaine depuis Paris, l’arrivée des métropolitains était donc un événement pour les familles et les amis.

Je fus accueilli par l’homme qui avait semblé me connaître au ministère. Il était accompagné d’un groupe de gens souriants en chemisettes et robes légères. J’étais étonné car ils étaient venus pour moi. Les présentations faites, chacun me dit son petit mot de bienvenue, c’était très réconfortant et rassurant car j’étais pas mal déboussolé. Table ouverte, c’est ce qu’ils me disaient tous. J’ai vite compris qu’il s’agissait d’une coutume de l’Outre-Mer. Chaque coopérant ou fonctionnaire affecté dans un territoire ou autrefois une colonie avait vécu au moins une fois l’expérience d’une installation pénible. Un logement lui avait été promis avant son départ. Confiant, il avait débarqué avec toute sa famille et s’était retrouvé pendant des mois à l’hôtel. Pour son poste suivant, il arrivait donc seul et une fois obtenue la fameuse maison, il faisait venir sa famille. Pendant toute cette période il vivait donc seul, isolé dans une chambre d’hôtel. Solidaires, les autres coopérants qui, eux, étaient enfin installés avec leur famille après avoir vécu le même parcours, ouvraient leur table à ce nouvel arrivant car on avait fait la même chose pour eux. Ainsi, on pouvait débarquer, sans prévenir, à l’heure du déjeuner ou du dîner, chez n’importe lequel de ces nouveaux amis et automatiquement on vous sortait une assiette. C’était chaleureux et commode. Ainsi, je découvrais ces gens nouveaux et très différents de ceux que j’avais connus auparavant.

Lorsque je me suis installé dans ma maison, car moi j’en avais bien eu une, il faut dire que j’étais Conseiller du Président, je fus pris d’une vraie angoisse. Je réalisais soudain que j’étais là, loin de ma vie, de ceux que j’aimais, de tout ce qui m’était familier. Pour en rajouter, la maison malgré la chaleur ambiante n’avait rien de chaleureux. La décoration était inexistante, le mobilier simple et moche, rien sur les murs blanchis à la chaux et il n’y avait pas de carreaux aux fenêtres, juste des volets. La douche ressemblait à celle des bains-douches populaires où on allait avec l’école pour nous nettoyer. Mosaïque marron du sol au plafond, grosse pomme de douche fixe, mais quand même la bienvenue. Quand je tournai le robinet d’eau chaude, rien. Bon début. De toute façon je me dis qu’étant donnée la chaleur une douche froide était préférable. L’eau froide coula, rouge et chaude. J’ai d’abord pensé qu’ils s’étaient trompés et avaient inversé les tuyaux mais non, l’eau de Djibouti était chaude, tout le temps, même si on la faisait couler pendant des heures. Il n’y avait pas de chauffe-eau à Djibouti. Le rouge s’estompa petit à petit pour finir rose. J’ai appris ensuite que si on voulait prendre un bain relativement tiède il fallait remplir la baignoire le matin avant de partir pour en profiter vers 13h.

La gestion du chaud et du froid, si elle était banalisée par les habitants, est très vite devenue une préoccupation nouvelle pour moi. En cas de panne de réfrigérateur ou d’électricité, il y avait une méthode pour rafraîchir une bouteille : l’envelopper d’un linge humide et la suspendre à un fil. L’air ambiant la refroidissait. Lorsque l’on sortait de son bureau climatisé et qu’on se retrouvait sous le soleil de midi, écrasant et mortel, on était instantanément ruisselant, trempé. En arrivant chez soi, après un déjeuner arrosé de vin rosé sudorifique, on se précipitait dans le bain tiède coulé le matin. Ruisselant (d’eau autant que déjà de sueur), on se jetait sur le lit dans la merveilleuse chambre climatisée, glaciale. Après cette sieste obligatoire, on se réveillait trempé à nouveau car la chambre glaciale, en fait, était chaude.

Il est difficile d’imaginer combien un climat peut devenir une préoccupation permanente, le jour comme la nuit. On dit que Djibouti est le pays le plus chaud du monde et aussi le plus humide. J’ai vu des enfants vendre aux rares touristes ou plutôt aux étrangers en escale, des petites bouteilles de Perrier en verre complètement déformées par le soleil, qu’ils avaient simplement ramassées sur des tas d’ordures. Un militaire m’a montré la paume de sa main brûlée au 3ème degré par une poignée de porte en fer. Il était impossible et dangereux de rester exposé au soleil. Il fallait absolument trouver de l’ombre.

Je pensais qu’avec la mer je profiterais enfin d’un peu de fraîcheur. Et non, la mer était chaude, très chaude et incroyablement salée. A tel point qu’en s’y baignant, on flottait comme un bouchon. Très vite je profitai des expéditions au large, le week-end, sur les bateaux rapides de mes amis où là, la mer était fraîche et transparente mais farcie de requins, de murènes, de barracudas et autres dangereuses bestioles. Mais tout ça était extraordinaire à voir. On voyait, depuis le bateau, des fonds vertigineux colorés par les poissons multicolores.

La vie à Djibouti était complètement artificielle. La France avait créé ce port en 1888, à l’entrée de la mer Rouge, dans un endroit stratégique où il n’y avait rien auparavant, même pas un semblant de petit port ou de village, rien. Attirées par l’argent des colons, les populations ennemies d’Ethiopie et de Somalie sont venues y cohabiter tant bien que mal et plutôt mal que bien. La forte présence militaire française a instauré un certain équilibre et un calme apparent. Cette présence était partout : 2 500 militaires à l’époque où j’y étais, un porte-avions mouillant dans le port en permanence, le Foch ou le Clémenceau, et une armada de troupes de tous les corps d’armée y compris la Légion Etrangère calmait les haines tout en générant une véritable économie car il faut rappeler que tout Français mettant les pieds à Djibouti touchait 3 fois son salaire métroplolitain. Une aubaine pour ce petit monde grouillant. En fait, grouillant n’est pas le terme parce que les Djiboutiens étaient lents, abrutis par le Kat, herbe hallucinogène qu’ils mâchaient à longueur de journée.

Les femmes étaient très belles, les traits fins, souvent les yeux verts, drapées dans des robes multicolores. Mais ce qui noircissait ce tableau était de savoir qu’elles étaient toutes excisées depuis leur plus jeune âge et que, malgré toutes les tentatives humanitaires, elles infligeaient encore, avec obstination, cette mutilation à leurs propres filles.

Le climat avait fait de Djibouti un lieu désertique de cailloux et d’épineux que les chèvres broutaient sans se blesser. Aucun insecte ni animal sauvage n’avait pu y subsister. Sauf quelques gros scorpions que l’on pouvait retrouver, le soir, sous son lit. Quelqu’un m’a dit :

« Djibouti c’est la lune !».

Au milieu de tout ça, lorsqu’on sortait de la ville pour rejoindre un village perdu dans le territoire, on croisait de rares bergers qui marchaient en plein soleil, pieds nus, accompagnés de 2 ou 3 chèvres, leur seule fortune, et qui se rendaient Dieu sait où, à des centaines de kilomètres de toute habitation. C’était incroyable.

Le lendemain de mon arrivée j’allai à la Présidence, sorte de bâtiment administratif moderne. On me présenta ma secrétaire, une jeune Afar, souriante et accueillante. Les seuls Européens étaient la Secrétaire du Président, une jolie femme vive et autoritaire, un Conseiller chargé de mettre en place la future Coopération, un Conseiller Diplomatique envoyé par le Quai d’Orsay, un Directeur de Cabinet, ancien administrateur des Colonies en fin de carrière, et un Secrétaire Général, même profil. Les présentations étant faites je me suis installé dans mon bureau avec cette question angoissante en tête : « Quoi faire ? ». Comme j’étais, en principe, un spécialiste de la presse je me disais que j’allais bien voir débarquer un journaliste, pour m’occuper. Je n’eus pas longtemps à attendre. Le Président m’appela :

« Monsieur le Conseiller, j’ai décidé de réunir à Tadjoura tous les chefs Afars et Issas. Je souhaiterais que vous organisiez cette rencontre ».

J’étais ragaillardi. J’avais quelque chose à faire.

(Tadjoura est une ville située au Nord, de l’autre côté de la baie du même nom, en face de Djibouti. Elle fut un important centre de commerce de trafics d'armes et d'esclaves. Arthur Rimbaud y vécut quelques années où il s'essaya au commerce des armes.)

Le Directeur de Cabinet me donna les détails du projet. Il s’agissait d’une rencontre entre des centaines de chefs autour d’un méchoui géant, en pays Afar, bordé par l’Ethiopie, et très loin de la capitale. C’était périlleux voire même dangereux. J’avais carte blanche pour que tout se passe bien.

Ma première démarche a été de rencontrer le Haut Commissaire de la République, installé dans un grand et beau palais colonial situé à la pointe de la ville, face à la mer. Si le Territoire disposait d’une certaine autonomie avec assemblée territoriale élue et ministres responsables des secteurs civils, la France gardait la mainmise sur l’Etat Civil et l’armée. Le Haut Commissaire avait été informé de l’intention du Président, qu’il considérait comme une hérésie dans cette ambiance politique explosive. Mais bon, puisque Paris était d’accord…

Il a donc organisé une réunion préparatoire avec les chefs militaires français dans la grande salle du palais. C’était impressionnant. Autour de la table étaient réunis les plus hauts gradés de l’armée. Un général commandant les forces françaises, des colonels, le commandant du Foch, des représentants de tous les corps d’armée : la légion étrangère, l’infanterie, la marine, les parachutistes, l’aviation et même les compagnies de CRS. En tout, une vingtaine de hauts gradés que j’étais bien incapable de différencier, n’ayant pas fait mon service militaire, excepté le général avec ses étoiles. Lorsque je suis entré ils se sont tous levés. J’étais sidéré. J’étais donc si important ? L’effet, sur moi, a été incroyable. Mais, bien sûr, j’ai fait comme si c’était normal et nous avons commencé la réunion. J’avais apporté une carte géographique pour leur indiquer le lieu de la manifestation. Ils se sont tous levés pour la regarder. Ca ressemblait aux scènes des films de guerre où l’on voit les militaires alliés en train de préparer le débarquement. Après mon exposé, le général a mis sur pied un plan auquel je n’ai pas compris grand-chose. J’étais quand même rassuré de savoir que l’armée française serait là pour assurer la sécurité.

Je partis la veille sur une vedette de la Présidence, pilotée par un Djiboutien. Après trois heures de traversée je débarquais dans un endroit magique. Une citadelle blanche orientale avec son minaret et ses hauts murs crénelés. Dans le port, quelques boutres dormaient et sur la plage trois ou quatre gamins coururent à notre rencontre. Je fus accueilli par le Commandant de Cercle, un administrateur corse, qui me dressa très vite un tableau inquiétant de la situation :

« Cette réunion est insensée, l’armée éthiopienne est en attente, de l’autre côté de la frontière. Tous les habitants du coin sont hostiles et prêts à déclencher des émeutes. Mon pauvre, je n’aimerais pas être à votre place… ». Sur ces paroles alarmantes, nous nous installâmes confortablement dans l’immense patio sur d’agréables coussins pour boire le pastis bienvenu et quelque peu réconfortant. Après le dîner, dans le même patio, autour d’un cognac bienvenu et de plus en plus réconfortant, l’administrateur évaluait les morts, les conséquences internationales qu’allait engendrer l’affrontement entre l’armée française et l’armée éthiopienne, notre évacuation, tout ça accompagné par le muezzin qui du haut de son minaret clamait des paroles qui semblaient dirigées contre nous. Bref, tout ce qui fallait pour que je passe une bonne nuit. Pour clore le tout un Djiboutien obséquieux faisait irruption régulièrement pour tenir mon hôte au courant de l’arrivée incessante d’Afars entraînés, armés jusqu’au dents venant d’Ethiopie.

Après avoir demandé à un serviteur de me débarrasser du beau scorpion installé sous mon lit, je me couchai et passai une des plus belles nuits de ma vie.

 

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Commentaires
I
Bonsoir<br /> <br /> Je viens de lire ce récit et je ne comprends pas pourquoi, fifi, raba et autres trouvent des critiques à l'encontre des djiboutiens. Je suis natif de Djibouti et amoureux de ce pays, mais je ne vois pas pourquoi et où trouver des critiques.<br /> En tout cas à travers ces lignes, j'arrive avec mes recherches à reconstituer un géant puzzle.<br /> <br /> Merci
R
critiquer des gens qui vous accueille bien et vous traitez les hommes djiboutiens des abrutis je vous trouve que tu es un hypocrite de deux visage va te soigner et respect vous en premier après les autres
F
Vous pensez qu'il n'y a prend de djibouti, detrompé vous monsieur si c'etait le cas les français n'allait pas venir dans notre pays pour en faire une base militaire.Pensez qu'on investit dans un pays sans un intéret il faut savoir que dieu a bien fais les choses; c'est vrai que beaucoup choses restent a faire dans notre pays et d'ailleurs chaque pays aussi grand et puissant soit il est passé par ce chemin et nous jeunes djiboutiens croyant à l'avenir de notre pays.D'ailleurs les français, a part occuper notre territoire n'ont rien laissé de bien à notre pays. Je comprends que vous racontez ce que vous aviez veçu il y'a des années et je ne suis pas contre ça c'est votre point de vue et je le respecte. Mais j'ai l'impression que vous avez juste vu les cotés disant difficile a vivre de djibouti et que vous vous n'etes pas donné le plaisir de voir notre pays sous ces merveilleux jours. Et crois moi si on se met à compter les cotés sombres de la france lool, en'a plein.
E
Les souvenirs ravivent toujours des douleurs partout, que ce soit en France, Allemagne, Algérie, ou Indochine, c'est la guerre qui a entretenu des haines et les gens ne savent pas toujours les vérités " vraies " ! Bonne soirée. Beau blog rempli de souvenirs!
A
Désolé si vous pensez que je critique votre pays. Je n'en ai jamais eu l'envie ni l'intention. Je raconte des instants que j'ai vécus sans porter de jugement sur qui que ce soit.<br /> Les Français ne se sont pas servis à Djibouti car il n'y avait rien à prendre. Ils ont seulement construit un port qui a donné du travail à beaucoup de gens...<br /> Je n'ai jamais poignardé quiconque en pensées (ni autrement d'ailleurs) et surtout pas votre président que j'ai connu et que j'estimais beaucoup ainsi que ses prédécesseurs qui étaient tous des hommes intelligents et dévoués à leur pays.
Tant que je me souviens...
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