Djibouti
Il était 4 heures du matin. J’ai parlé de soleil mais maintenant je me souviens qu’il faisait nuit. L’aéroport de Djibouti était grouillant de monde. Il faut dire qu’il n’y avait qu’un avion par semaine depuis Paris, l’arrivée des métropolitains était donc un événement pour les familles et les amis.
Je fus accueilli par l’homme qui avait semblé me connaître au ministère. Il était accompagné d’un groupe de gens souriants en chemisettes et robes légères. J’étais étonné car ils étaient venus pour moi. Les présentations faites, chacun me dit son petit mot de bienvenue, c’était très réconfortant et rassurant car j’étais pas mal déboussolé. Table ouverte, c’est ce qu’ils me disaient tous. J’ai vite compris qu’il s’agissait d’une coutume de l’Outre-Mer. Chaque coopérant ou fonctionnaire affecté dans un territoire ou autrefois une colonie avait vécu au moins une fois l’expérience d’une installation pénible. Un logement lui avait été promis avant son départ. Confiant, il avait débarqué avec toute sa famille et s’était retrouvé pendant des mois à l’hôtel. Pour son poste suivant, il arrivait donc seul et une fois obtenue la fameuse maison, il faisait venir sa famille. Pendant toute cette période il vivait donc seul, isolé dans une chambre d’hôtel. Solidaires, les autres coopérants qui, eux, étaient enfin installés avec leur famille après avoir vécu le même parcours, ouvraient leur table à ce nouvel arrivant car on avait fait la même chose pour eux. Ainsi, on pouvait débarquer, sans prévenir, à l’heure du déjeuner ou du dîner, chez n’importe lequel de ces nouveaux amis et automatiquement on vous sortait une assiette. C’était chaleureux et commode. Ainsi, je découvrais ces gens nouveaux et très différents de ceux que j’avais connus auparavant.
Lorsque je me suis installé dans ma maison, car moi j’en
avais bien eu une, il faut dire que j’étais Conseiller du Président, je fus
pris d’une vraie angoisse. Je réalisais soudain que j’étais là, loin de ma vie,
de ceux que j’aimais, de tout ce qui m’était familier. Pour en rajouter, la
maison malgré la chaleur ambiante n’avait rien de chaleureux. La décoration
était inexistante, le mobilier simple et moche, rien sur les murs blanchis à la
chaux et il n’y avait pas de carreaux aux fenêtres, juste des volets. La douche
ressemblait à celle des bains-douches populaires où on allait avec l’école pour
nous nettoyer. Mosaïque marron du sol au plafond, grosse pomme de douche fixe,
mais quand même
La gestion du chaud et du froid, si elle était banalisée par
les habitants, est très vite devenue une préoccupation nouvelle pour moi. En
cas de panne de réfrigérateur ou d’électricité, il y avait une méthode pour
rafraîchir une bouteille : l’envelopper d’un linge humide et la suspendre
à un fil. L’air ambiant
Il est difficile d’imaginer combien un climat peut devenir
une préoccupation permanente, le jour comme
Je pensais qu’avec la mer je profiterais enfin d’un peu de fraîcheur. Et non, la mer était chaude, très chaude et incroyablement salée. A tel point qu’en s’y baignant, on flottait comme un bouchon. Très vite je profitai des expéditions au large, le week-end, sur les bateaux rapides de mes amis où là, la mer était fraîche et transparente mais farcie de requins, de murènes, de barracudas et autres dangereuses bestioles. Mais tout ça était extraordinaire à voir. On voyait, depuis le bateau, des fonds vertigineux colorés par les poissons multicolores.
La vie à Djibouti était complètement artificielle. La France
avait créé ce port en 1888, à l’entrée de
Les femmes étaient très belles, les traits fins, souvent les yeux verts, drapées dans des robes multicolores. Mais ce qui noircissait ce tableau était de savoir qu’elles étaient toutes excisées depuis leur plus jeune âge et que, malgré toutes les tentatives humanitaires, elles infligeaient encore, avec obstination, cette mutilation à leurs propres filles.
Le climat avait fait de Djibouti un lieu désertique de cailloux et d’épineux que les chèvres broutaient sans se blesser. Aucun insecte ni animal sauvage n’avait pu y subsister. Sauf quelques gros scorpions que l’on pouvait retrouver, le soir, sous son lit. Quelqu’un m’a dit :
« Djibouti c’est la lune !».
Au milieu de tout ça, lorsqu’on sortait de la ville pour rejoindre un village perdu dans le territoire, on croisait de rares bergers qui marchaient en plein soleil, pieds nus, accompagnés de 2 ou 3 chèvres, leur seule fortune, et qui se rendaient Dieu sait où, à des centaines de kilomètres de toute habitation. C’était incroyable.
Le lendemain de mon arrivée j’allai à la Présidence, sorte
de bâtiment administratif moderne. On me présenta ma secrétaire, une jeune
Afar, souriante et accueillante. Les seuls Européens étaient la Secrétaire du
Président, une jolie femme vive et autoritaire, un Conseiller chargé de mettre
en place
« Monsieur le Conseiller, j’ai décidé de réunir à Tadjoura tous les chefs Afars et Issas. Je souhaiterais que vous organisiez cette rencontre ».
J’étais ragaillardi. J’avais quelque chose à faire.
(Tadjoura est une ville située au Nord, de l’autre côté de
Le Directeur de Cabinet me donna les détails du projet. Il
s’agissait d’une rencontre entre des centaines de chefs autour d’un méchoui
géant, en pays Afar, bordé par l’Ethiopie, et très loin de
Ma première démarche a été de rencontrer le Haut Commissaire
de la République, installé dans un grand et beau palais colonial situé à la
pointe de la ville, face à
Il a donc organisé une réunion préparatoire avec les chefs
militaires français dans la grande salle du palais. C’était impressionnant.
Autour de la table étaient réunis les plus hauts gradés de l’armée. Un général
commandant les forces françaises, des colonels, le commandant du Foch, des
représentants de tous les corps d’armée : la légion étrangère,
l’infanterie, la marine, les parachutistes, l’aviation et même les compagnies
de CRS. En tout, une vingtaine de hauts gradés que j’étais bien incapable de
différencier, n’ayant pas fait mon service militaire, excepté le général avec
ses étoiles. Lorsque je suis entré ils se sont tous levés. J’étais sidéré.
J’étais donc si important ? L’effet, sur moi, a été incroyable. Mais, bien
sûr, j’ai fait comme si c’était normal et nous avons commencé
Je partis la veille sur une vedette de la Présidence, pilotée par un Djiboutien. Après trois heures de traversée je débarquais dans un endroit magique. Une citadelle blanche orientale avec son minaret et ses hauts murs crénelés. Dans le port, quelques boutres dormaient et sur la plage trois ou quatre gamins coururent à notre rencontre. Je fus accueilli par le Commandant de Cercle, un administrateur corse, qui me dressa très vite un tableau inquiétant de la situation :
« Cette réunion est insensée, l’armée éthiopienne est
en attente, de l’autre côté de
Après avoir demandé à un serviteur de me débarrasser du beau scorpion installé sous mon lit, je me couchai et passai une des plus belles nuits de ma vie.