Mes débuts professionnels
A
la sortie de cette école, j’ai travaillé avec Danyel Gérard. J’étais son
« collaborateur ». Période amusante car pleine de nouvelles idées,
dans le domaine de l’audiovisuel surtout.
Il
s’était associé avec un ingénieur de la télévision et le propriétaire du seul
studio vidéo. A l’époque, la vidéo était en noir et blanc, matériel archaïque,
gros magnétoscopes Ampex, régies et
consoles de mixage bricolées, caméras reliées aux magnétoscopes.
Les
compères avaient fabriqué et réuni des outils de production inédits : un
car de reportage installé dans un tube Citroën (camionnette en tôle ondulée)
et, entre autre, des caméras portables reliées à de lourds magnétoscopes portés
en bandoulières.
Forts
de cet arsenal, nous cherchions tous azimuts comment l’exploiter, alors on
inventait.
Grâce
aux relations de Danyel, nous avons réussi à monter des opérations inédites en
dehors de celles de la télévision française. Pour le premier anniversaire du
Centre Commercial de Parly 2, nous avons installé 80 téléviseurs, un plateau de
tournage et des caméras de reportages, pendant une semaine. Sur le plateau,
Michel Drucker recevait les stars de l’époque, dont Julien Clerc. Des
interviews étaient mixées en direct depuis le car et retransmises sur les
écrans répartis dans tout le centre. On n’avait jamais vu ça. C’était une
première.
Et
puis il y a eu le Rallye de la Vallée des Gaves. Jacques Chancel organisait,
chaque année, un rallye automobile d’une semaine pour les stars autour
d’Argelès Gazost dans les Pyrénées. J’étais descendu de Paris avec la Mercedes
de Danyel pour organiser l’opération aux côtés de Jacques Chancel. Je vivais
une grande aventure dans le luxe et le confort. Au passage, je me suis arrêté
dans la ferme creusoise de mon enfance pour leur montrer la belle voiture. Je
leur ai même fait faire un tour, tous entassés, les jeunes et les vieux. Je
faisais des effets d’accélération et tout le monde hurlait dans un mélange de
joie et de terreur.
Arrivé
à Argelès, je me suis démené pour organiser la couverture vidéo de l’événement.
Je dînais avec des gens connus, j’ai un peu oublié qui mais je me souviens de
Raymond Souplex, l’inspecteur Bourrel des Cinq Dernières Minutes, qui a bien
rigolé quand ma chaise s’est effondrée sous moi et que je me suis retrouvé
assis par terre. Il y avait aussi des sportifs de l’époque et des chanteurs.
L’opération fut une vraie réussite. Le rallye était filmé depuis une moto
(comme le Tour de France) et, chaque soir, nous retransmettions les images à
partir du tube Citroën couvert d’écrans de télévision de chaque côté. Ca non
plus on ne l’avait jamais vu. Jacques Chancel était ravi et me considérait
comme un vrai professionnel efficace. Venant de lui, ça me remplissait de
fierté car, il faut le rappeler, il était à l’époque une des stars de la radio
avec son émission Radioscopie sur France Inter.
Il
voulait que je travaille avec lui sur un projet d’émission pour la télévision,
Le Grand Echiquier. J’ai refusé pour ne pas laisser tomber Danyel Gérard.
Ma
vie n’aurait pas été la même si j’avais accepté…
Danyel
avait rencontré Patrick de N. et ils avaient conclu une opération audiovisuelle
pour cette inauguration. Patrick était un type incroyable doté d’une énergie
peu commune. Il aimait les gens, être entouré et ne connaissait aucune limite.
Originaire de Limoges, on lui avait confié la direction de cette future Maison
du Limousin. Pendant toute la période de préparation et d’aménagement, j’ai
vécu dans un tourbillon de déjeuners, dîners et soirées dans les meilleurs
restaurants de Paris et les boîtes de nuits à la mode. Il existait un
restaurant, rue de Berry, Les Trois Limousins. On y mangeait une viande
extraordinaire, entourés de photos encadrées d’énormes bœufs primés et
médaillés. Ils avaient installé un bœuf empaillé dans la vitrine du restaurant.
On était une vingtaine en permanence, des journalistes surtout, invités par
Patrick. Il n’était pas question de refuser, d’ailleurs qui en aurait eu envie,
car Patrick était capable de vous faire décommander un rendez-vous avec le Pape
juste pour un dîner avec lui.
L’inauguration
fut grandiose. Patrick avait loué, pour l’occasion, les salons de l’Hôtel
Intercontinental mitoyen. J’avais installé des caméras dans la maison du
Limousin et des écrans dans les salons de l’hôtel et sur le trottoir. Patrick
avait invité le Tout Paris et le Tout Limoges, d’ailleurs à voir le monde il
avait dû inviter tout Paris et tout Limoges. Il avait même loué un train entier
pour les Limougeauds. Jacques Chirac, Secrétaire d’Etat à l’Agriculture,
présidait officiellement l’inauguration.
La
foule vêtue de la tenue de soirée exigée se bousculait pour attraper les
assiettes de foie gras en porcelaine, de Limoges bien sûr, que chacun pouvait
emporter, à volonté. Le tout accompagné du meilleur champagne. Bref, la soirée
fut grandiose.
Moi
qui n’étais pas habitué à un tel luxe j’étais fasciné et me sentais loin de la
rue de Romainville de mon enfance. J’aimais bien ce monde où les femmes étaient
belles et chaleureuses. Pendant que leurs maris parlaient affaires dans le
brouhaha ambiant je les regardais, une coupe à la main, elles me souriaient
longuement et me regardaient aussi avec des yeux pleins de promesses. Mais
voilà, j’étais malade comme un chien, j’avais 40 de fièvre, donc
malheureusement les promesses n’ont pas été tenues.
Je
suis rentré chez ma mère, elle a appelé un médecin d’urgence car je délirais. La
fièvre tombée, je découvris le médecin assis sur mon lit qui attendait les
effets de la piqûre.
C'était
une jeune femme ravissante. Je me suis endormi en me disant que, décidément, la
vie était devenue bien belle, à part pour les gens de Limoges qui ont été
effarés par le coût astronomique de la création et de l’inauguration de leur
Maison du Limousin. Patrick
ne comprenait pas qu’on l’ait remercié et, en plus, sans le remercier.
Il
avait pourtant atteint son objectif puisque la presse avait beaucoup parlé de la Maison
du Limousin.
Très
vite regonflé à bloc, il mit en place une nouvelle structure au sein du très
officiel Comité Français des Expositions. Il avait réussi à convaincre les très
sérieux membres du conseil d’organiser une exposition itinérante en Afrique
pour présenter et promouvoir les produits français. Composée de 80 semi-remorques
aménagés en stands, l’exposition devait sillonner toute l’Afrique Noire pendant un an. C’était
une opération énorme et géniale. On devait être en 1971 et le Président de la
République était Georges Pompidou. Sa femme Claude patronnait l’opération.
J’étais
engagé sans savoir pour quoi faire d’ailleurs mais Patrick avait tenu à ce que
je fasse partie de l’aventure. Nous étions installés avenue Franklin Roosevelt
dans les somptueux bureaux du comité.
Avec
son énergie débordante, Patrick remuait et impliquait les politiques et les
industriels. Il commençait à faire aménager les camions en stands, contactait
les entreprises et tout le monde voyait ça plutôt d’un bon œil. Mais voilà,
quelqu’un, un jour, lui dit :
« Tu crois que ces énormes camions
pourront circuler sur les pistes africaines ? »
La
question était bonne et a même provoqué une grande inquiétude parmi l’équipe
tout à coup désemparée. Sauf pour Patrick qui, sans reprendre son souffle :
« On
va aller voir, Alain (moi), Machin et Truc, vous partez en reconnaissance avec
mon père, colonel de la Légion à la retraite dans deux Méhari. Machin, commande
les Méhari, prévois des pièces de rechange. Machine, contacte les ambassades de
tous les pays. Truc, réserve 5 billets d’avion en 1ère pour Abidjan,
5 chambres à l’hôtel Ivoire on part dès que les Méhari seront arrivées
là-bas. »
Voilà
c’était réglé. Là où quelqu’un de normal se serait paniqué, Patrick avait
immédiatement trouvé une solution. Mais ce n’était pas gagné…