Le bonheur de Léontine
Si ma grand-mère Léontine trouvait que la vie était faite de drames vécus ou imminents, là où elle atteignait la béatitude c’était dans le miracle.
Elle croyait en Dieu sans être pratiquante et avait un chapelet souvent à la main.
Elle ne connaissait rien des évangiles ni des préceptes de l’Eglise mais Dieu était un recours pour le règlement immédiat du malheur à venir.
Nous passions nos vacances parfois dans le Jura parfois dans les Vosges.
Je ne sais plus dans quelle région est arrivé le miracle.
Nous étions partis, Léontine et moi, cueillir des myrtilles. Nous aimions bien les confitures de myrtilles que Léontine nous confectionnait.
A ce sujet je me souviens qu’à Paris, Léontine a voulu ouvrir un bocal. Elle a eu un mal fou et lorsqu’elle y arriva finalement tout le contenu du bocal a jailli comme du champagne et aspergé les murs de la cuisine et Léontine qui criait : « Je suis aveugle, je suis aveugle… »
Les myrtilles devaient être en pleine fermentation.
Bon, revenons à la cueillette.
Nous voilà partis avec nos paniers dans une grande forêt.
Soudain, à la croisée de deux chemins nous vîmes une statue de la Vierge dans sa niche, sur un socle.
Léontine s’arrêta, donc moi aussi, et récita, à genoux, un « Je vous salue Marie », donc moi aussi. Elle se signa et resta à regarder la statue. Surpris, je la crus en méditation.
Tout à coup elle me souffla, tout bas: « Mon petit, elle a bougé ! »
Très impressionné, car je sentais que j’assistais à quelque chose d’insolite, je fixais, moi-aussi, la statue. Et effectivement, à force, je vis un léger mouvement. Phénomène normal de la vision, mais moi je ne le savais pas, à l’époque.
Alors je dis moi aussi : « C’est vrai elle a bougé »
Là, Léontine a sorti avec une voix étranglée : « C’est un miracle ! »
Comme je devais avoir 10 ans, que j’allais au catéchisme et à la messe tous les dimanches, j’en avais déjà entendu parler et j’ai donc été totalement bouleversé car, pour moi, les miracles étaient quand même rares et ceux qui en vivaient devenaient des saints.
On est resté comme ça un long moment à fond dans le miracle. Ma grand-mère s’est traînée, à genoux, jusqu’à la statue et s’est mise, en transe, à lui caresser le visage et lui parler très familièrement ; elle le pouvait car elle venait d’entrer dans le royaume des saints.
La surprise passée je me demandais si on allait nous croire et de ça j’en doutais.
Le vrai miracle, en fait, c’est que la statue ne soit pas tombée, à force de bouger, sur la tête de Léontine.
On est finalement rentrés et personne ne nous a crus…