Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Tant que je me souviens...
Archives
30 mars 2005

La vie du quartier

Quand j’y repense, cette rue de Romainville était un endroit privilégié.
Elle était composée de maisons avec des jardins, mais aussi d’immeubles en briques comme les cheminées d’usine. La brique devait être un matériau bon marché et la main d’œuvre pas chère, car qu’est-ce qu’il faut comme briques pour faire un immeuble !

C’était comme ça Paris dans les arrondissements périphériques. Des immeubles modestes pour les gens modestes et des maisons pour les « riches », ceux qui avaient un peu plus. Ceux qui avient beaucoup plus habitaient dans le centre, des immeubles en pierre de taille.
En face de chez nous (le 22) partait une rue pavée : la rue Emile Desvaux, elle se séparait en deux avec la rue Paul de Kock et les deux se rejoignaient très vite.
Elles étaient bordées de maisons, comme en province. Dans la rue Paul de Kock il y avait un large escalier avec une rampe en fer, comme à Montmartre, la hauteur en moins. C’est celle-ci que je prenais pour aller à l’école. J’aimais descendre les escaliers.

Dans l’une de ces rues habitaient deux jumeaux qui étaient les terreurs du quartier. Moi, j’étais fier car c’étaient mes copains. Leurs parents étaient des gens de cirque à la retraite, anciens trapézistes. Je les trouvais vieux, ils devaient avoir 40 ans, et je me souviens qu’ils avaient gardé une allure athlétique. Les jumeaux étaient des « voyous » de l’époque.
On disait qu’ils étaient mal élevés, mal polis. J’aimais ça car moi je n’osais pas. On ne disait pas de gros mots chez les gens. Quand ma Léontine de grand-mère jurait c’était : « Ah quel outil ! » ou « chameau » ou encore « moineau ». Pour le suprême gros mot elle disait « marde ! » On comprenait mais elle ne l’avait pas dit.
Les jumeaux avaient des patins à roulettes avec quatre roues en fer. C’étaient des acrobates, fils d’acrobates. J’étais fasciné par leur aisance sur les pavés et aussi sur le bitume lisse des trottoirs. Les vieilles dames les entendaient arriver (celles qui entendaient) et se garaient dans l’embrasure des portes car ils les auraient bien volontiers renversées. Un jour, le quartier fut consterné car les jumeaux avaient été pris en flagrant délit de vol de bonbons à la boulangerie. La boulangère avait reçu un coup de patin à roulettes dans le tibia car elle avait eu le culot de leur demander la restitution des bonbons.

Nous connaissions une dame originaire de Lorraine, la TeuTeu qu’on l’appelait à cause de son fort accent germanique, qui était domestique dans une grande maison située presque en face de la nôtre. Son patron dirigeait une grosse entreprise de fabrication de jambons. Il avait épousé une de ses ouvrières, elle était belle mais vulgaire. Sa vulgarité était enveloppée d’un sac élégance plein de trous et comme toutes ces femmes qui s’étaient sorties de leur milieu, elle avait les allures et le maquillage des dames de la rue Godot de Mauroy.
La TeuTeu n’avait pas d’enfants et pas de mari, elle nous avait pris en affection. Pour mes 8 ans elle m’avait offert un banjo mandoline. Elle venait souvent nous voir et nous racontait la vie chez les « riches ». Ses voisins, riches aussi, avaient deux filles de 30 ans qui n’avaient pas le droit de sortir sans eux. Certains soirs elle entendait des hurlements d’hystérie. Une fois elle avait assisté  à une crise. Une des filles se débattait, tenue par ses parents, en criant : « un homme, un homme ! ». Cela peut paraître incroyable mais c’est bien ce qu’elle nous a raconté.

D’autres voisines passaient à la maison. Une d’entre elles disait avec une grande fierté : « Mon mari est un grand fumeur !» comme elle aurait dit « un grand homme ! ».
Une autre venait se réfugier en pleurant, le visage tuméfié, entourée de deux autres voisines. Pour la réconforter, l’une d’entre elles lui avait dit : «  Allons, allons, c’est pas grave, c’est pas lui qui tape, c’est l’alcool ». C’était sûrement aussi un grand homme…

Publicité
Commentaires
S
... j'espère que tu nous en parlera en détail, des dames de la rue Godot-de-Mauroy, car elles ont l'air de t'avoir impressionné !!! Je rigole. Pour ce qui est de la brique, as-tu remarqué qu'on l'utilise beaucoup, voire exclusivement, dans les régions de plaine, où il n'y a pas de roche facile à extraire ; c'est le cas vers Toulouse/Albi/Montauban, dans le Nord, en Bresse... C'est vrai aussi pour la région parisienne, mais c'est moins exclusif et je trouve que la meulière est plus la marque de la région.
P
Enfin! Mais quelles histoires vous nous racontez. J'ai l'impression de découvrir un nouveau monde (et pourtant c'est moi qui en viens, en principe!). Vivement la suite.<br /> <br /> À propos : ce suprême gros mot, vous savez que, prononcé de cette manière et précédé de l'adjectif "maudite", ça fait très québécois - et très vulgaire?
Tant que je me souviens...
Publicité
Derniers commentaires
Publicité