Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Tant que je me souviens...
Archives
26 février 2005

La ferme 2

Après ce « petit »-déjeuner nous enfilions les bottes et sortions pour attaquer les travaux.
Il y avait deux activités que j'aimais particulièrement.
Aller aux champs assis à l'arrière du tombereau, les jambes pendantes, tiré par les bœufs Bijou et Joli. Mon Oncle Eugène ou mon cousin Raymond guidaient l'attelage, un aiguillon posé sur le joug des bœufs, moi je me faisais agréablement bringuebaler au rythme des trous et des ornières des chemins.

Ce que j'aimais aussi c'était de conduire le « vachaille » au champ. Là je jouais un rôle très important car je fermais la marche et devais taper sur le cul des vaches pour les faire avancer lorsqu'elles s'arrêtaient pour brouter les buissons des haies. Je me sentais fort car ces énormes bêtes obéissaient à ma baguette.

Nous marchions longtemps car les champs étaient parfois très éloignés de la ferme. Il y avait eu, à Paris, des tentatives de remembrements pour regrouper les champs d'une même exploitation mais sans succès : chacun tenait trop à ses terres, bien meilleures que celles du voisin.
C'était tellement loin que l'on restait la journée avec le troupeau, assis ou couchés dans l'herbe à ne rien faire. Le terme productivité a été inventé bien plus tard.

Il y avait aussi les moissons, en pleine chaleur. On chargeait les tombereaux de paille ou de foin sur des hauteurs incroyables, j'aimais être en haut pour attraper les bottes qu'on me jetais d'en bas. Mon oncle se désaltérait et reprenait des forces en buvant du vin rouge au goulot, je trouvais ça normal et l'enviais d'avoir accès à ce remontant magique. Moi avec mon eau tiède je devais fatiguer plus vite.

Les journées passaient comme ça et le soir on se retrouvait tous autour de la grande table pour le dîner. On parlait de la journée, de mes exploits, de mon ardeur au travail, de ma force…J'étais fier.

Mon oncle Eugène était un très brave homme, sanguin comme disait ma grand-mère Léontine, mais brave. Il racontait sa guerre de 14-18 à Constantine, une gravure panoramique de la ville était accrochée au dessus de la cheminée et il chantait, à ma demande, avec un sourire retenu, « La cuisine roulante » une chanson de militaires de l'époque. Comme il était sanguin il s'engueulait avec ma tante et comme elle était tenace ça se terminait par un tonitruant : « Tais-toi vieille auch ! » (oie).
Il disait aussi lorsqu'elle donnait un coup de pied au chat : « Ça n'aime pas les bêtes, ça peut pas aimer les gens ! » ou le contraire.

Dans cette ferme, on fabriquait ou on avait tout : le beurre, la crème fraîche, les œufs, la volaille, les patates… on achetait seulement le remontant rouge, le sucre, le sel…Là, il fallait y aller doucement sur la consommation.
Ma cousine Denise, la femme de Raymond, était et est toujours une femme merveilleuse. Jolie et intelligente elle travaillait avec ardeur et toujours dans la bonne humeur malgré les critiques et reproches des « vieilles ». Il faut dire qu'elle venait d'un village voisin et était coupable, comme l'aurait été tout "étranger", de profiter de cette ferme qui n'était pas elle. Pourtant c'était elle qui en faisait le plus et qui s'occupait du bien-être de tout ce monde...

Il m'arrivait de partir avec mon cousin Pierre faire du vélo dans le village. Les deux « vieilles » se précipitaient sur le pas de la porte et hurlaient :
« Ils sont partis à vélo, ils vont se noyer ! »
Ca peut paraître bizarre mais il y avait, à plusieurs kilomètres, une petite mare dans un champ. C'était donc là qu'on allait forcément et là-dedans qu'on allait se jeter et là qu'on allait se noyer, forcément. Léontine n'était pas en reste et on l'entendait se joindre aux autres, jusqu'à ce qu'on soit loin.
A notre retour c'était des cris de soulagements et de reproches, on était vivants ! Il faut dire que pour des grands-mères et arrière-grands-mères, d'avoir devant soi, après quelques heures de deuil, les petits-enfants ressuscités, c'était un bonheur indescriptible, voire un miracle…Il faut l'avoir vécu pour comprendre...


Publicité
Commentaires
S
Ici aussi on dit auches pour les oies (et pirons pour les oisons).
J
C'est fou comme tu racontes bien. <br /> Mais ce qui est le plus étonnant, c'est qu'en te lisant, j'ai l'impression que tu racontes une histoire du Moyen-âge! <br /> Crévindiou! L'a ben changé la vie. Pas vrai la Marie?
J
J'adore l'histoire du vélo.<br /> Et pour aller au champ, tu n'avais même pas droit à de la grenadine ? Si je la tenais, ta grand-mère...
Tant que je me souviens...
Publicité
Derniers commentaires
Publicité