Dans les années 50...
Dans les années 50, tout était en noir et blanc. Les couleurs vives n'existaient pas ou peu, elles étaient excentriques.
Les immeubles, les vêtements, les voitures étaient noirs ou gris, ma blouse d'écolier était grise elle aussi.
J'allais
à l'école rue des Bois, c'était une école Jules Ferry, préau, platanes,
grands escaliers très hauts de plafond, poêle à bois et forte odeur
d'encaustique.
Les instituteurs aussi étaient gris voire
marron foncé sauf ma maîtresse, grosse femme maquillée avec du rouge
très rouge sur les lèvres et une grosse épaisseur de fond de
teint ; pendant qu'on écrivait, elle se maquillait et se
remaquillait. Moi, ça me faisait de l'effet, elle ressemblait aux dames
de la rue Godot de Mauroy.
Je ne me rappelle pas si
elle était méchante ou gentille mais je me souviens de punitions
humiliantes comme le jour où, ayant troué mon cahier à force de gommer
l'encre, je me suis retrouvé dans la cour pendant la récréation, le
cahier accroché dans le dos, un bonnet d'âne sur la tête, tourné vers
le mur.
Bien
sûr l'effet était assuré car les autres enfants se moquaient, me
bousculaient sous le regard satisfait et bienveillant des instituteurs.
Ils
étaient tout puissants ces instituteurs, ils avaient toujours raison
même dans leurs excès, et nous toujours tort, même devant une injustice
flagrante. Les détraqués s'en donnaient à cur joie.
A cette époque, on nous distribuait, pendant une récréation, une
bouteille d'un 1/4 de lait avec des morceaux de sucre. C'était une
campagne nationale contre le rachitisme, je crois. Certains n'aimaient
pas le lait, d'autres adoraient ça, pareil pour le sucre. Dans les coins de la cour il y avait un gros trafic, on échangeait des bouteilles et du sucre contre des billes.
Pendant les classes de lecture je rêvais, le regard fixé sur un dessin,
toujours le même, d'un cultivateur dans son champ avec sa charrue et
son cheval au milieu de champs de blé jaunes. Je rêvais des vacances
dans la Creuse chez des cousins de ma mère qui exploitaient une vraie
ferme.